Loi ni bio, ni éthique votée en catimini par une minorité de députés
Important message de Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron :
Le projet de loi bioéthique a donc été adopté par l’Assemblée Nationale en seconde lecture, au petit matin du 1er août 2020, au terme d’une session extraordinaire menée à la hussarde, dans l’urgence – sans qu’il ne figure pour autant dans les priorités affichées du Gouvernement – et en catimini. Une petite centaine seulement de députés sur 577 ont siégé – ce qui pourrait déjà apparaître comme un scandale – pour légiférer et avaliser ce qu’il convient de dénoncer comme une « rupture anthropologique majeure ». Quelques courageux députés de l’opposition ont défendu, avec des arguments pertinents, le droit d’un enfant à avoir un père et une mère et la dignité inviolable de l’embryon humain, qu’il serait déraisonnable, au vu de la science, de ne pas reconnaître comme un être humain à part entière. Quelques rares députés de la majorité, non moins courageux, ont osé voter contre le projet de loi.
Rien n’y a fait. Et sur son compte Twitter, le Président Macron a salué l’adoption de ce Texte, avec des mots choisis :
« Je salue l’engagement des parlementaires, des membres du gouvernement et du Comité consultatif national d’éthique. Ils ont permis l’adoption d’un texte d’équilibre dans un débat apaisé ».
Un débat tronqué et chloroformé
Mais y a-t-il eu débat ? Il est permis d’en douter quand les Etats Généraux de la bioéthique, qui avaient vu se dégager une écrasante majorité opposée à la « PMA pour toutes », ont été tout bonnement « passés à la trappe » ; d’ailleurs qui s’en souvient encore ? De même, les auditions d’opposants au projet de Loi, y compris Mgr Pierre d’Ornellas au nom de la Conférence des évêques de France, par diverses instances, telle que la Commission spéciale de l’Assemblée Nationale, ont été traitées par le mépris. Et lors de la discussion en seconde lecture à l’Assemblée Nationale, les membres concernés du Gouvernement ont brillé par leur quasi-absence, comme fuyant le débat ; un certain nombre d’amendements déposés par l’opposition n’ont pas même été examinés… faute de temps !
Ce débat a-t-il été apaisé ? Par force, puisque, sous la pression de lobbies ultra minoritaires mais très influents dans la sphère politico-médiatique, qui sont parvenus à lui imposer leur agenda, le Gouvernement a profité de la torpeur estivale et du relâchement des français, bien compréhensible après les contraintes du confinement, pour faire passer ce Projet de loi dans l’indifférence générale. Les grands médias sont d’ailleurs restés mystérieusement très discrets sur le sujet, durant tous ces jours.
Le Projet de loi adopté est-il un « texte d’équilibre » ? Mgr Pierre d’Ornellas, dans son communiqué du 1er août, en pointant les avancées sociétales du texte adopté, en a montré au contraire, de manière très fine et pertinente, les profonds déséquilibres.
Un désastre éthique
Inutile de revenir sur le bouleversement de la filiation opérée par ce texte, en privant intentionnellement et légalement des enfants de père, avec, à la clé, le remboursement intégral de la « PMA sans père » par la Sécurité sociale, quand bien même il ne s’agit nullement d’une infertilité médicalement diagnostiquée. Ce projet-phare n’en cache pas moins d’autres dispositions gravissimes, dont l’abandon, à la demande du Gouvernement, sans doute pour un temps, de la méthode Ropa, véritable rampe de lancement de la GPA, et du DPI-A, fer de lance d’un eugénisme libéral, ne saurait minimiser la portée. Je pense à l’autoconservation des ovocytes, pour différer une « maternité de confort » ; l’autorisation de l’expérimentation, même encadrée, sur les embryons, les réduisant à des « souris de laboratoire » ; la fabrication d’embryons transgéniques et même chimériques, abolissant ainsi, d’une certaine manière, la frontière entre l’homme et l’animal…
Un amendement, adopté in extremis et passé totalement inaperçu, a même institué une « cause de détresse psycho-sociale », en soi invérifiable, pour étendre le délai de l’avortement – appelé ici, pour raison de convenance : IMG – jusqu’à la fin de la grossesse, ce qui constitue un aveu sur la qualification d’infanticide de tout avortement, la différence entre IVG et IMG étant ici purement sémantique. Car il s’agit toujours, quelles qu’en soient les justifications, du meurtre d’un enfant (infans : sans voix), de ce que saint Jean Paul II désignait clairement comme « la suppression délibérée d’un être humain innocent » (Encyclique Evangelium Vitae, n. 58).
Les évêques de France et la bonne volonté du dialogue
Les évêques de France se sont exprimés, en particulier par la voix du groupe de bioéthique, présidé par Mgr Pierre d’Ornellas. De nombreux évêques, à titre personnel, ont tenu à alerter l’opinion publique et ont attiré l’attention de leurs députés sur le « désastre éthique » de ce projet de loi. Au moins, on ne pourra pas leur reprocher demain leur silence, lorsque la conscience collective se réveillera de ce mauvais rêve.
Ils ont même consciencieusement cru au « dialogue » avec les parlementaires, les scientifiques, le Gouvernement. Et c’est vrai qu’il y a un temps pour dialoguer. Encore faut-il dialoguer en vérité : ce qui exige pour nous de partir de ce qui nous définit, à savoir notre foi. L’Eglise en effet doit toujours être témoin de la « splendeur de la Vérité » et de la Vérité sur l’homme, créé par Dieu à son image. Elle dialogue au Nom du Seigneur et entend défendre le dessein créateur de Dieu, surtout quand il est gravement offensé par les lois humaines. Le dialogue ne peut jamais être coupé de l’annonce claire et explicite du message de la foi.
Nous avons avancé des « arguments de raison » : ils sont utiles pour éclairer les consciences des fidèles, comme des hommes et des femmes de bonne volonté, souvent ignorants des enjeux véritables d’un Projet de Loi sur lequel le Gouvernement et les grands médias ont souvent communiqué de manière approximative, partiale – en en appelant davantage à la subjectivité des sentiments qu’à la vérité objective des faits –, voire mensongère. En revanche, quand il s’est agi de porter ces arguments de bon sens et de raison devant les artisans et les défenseurs de ce projet de Loi, force est de constater que notre bonne volonté de dialogue s’est heurtée à l’indifférence, au mépris, voire à la mauvaise foi et à l’hostilité ouverte. D’ailleurs, l’Eglise est-elle encore un « interlocuteur valable » au sein de la société française ? On peut désormais en douter.
Le cadre du dialogue défini par le Chef de l’Etat
Il faut dire que, fidèle à une notion de la laïcité à laquelle nous finirions par adhérer, le Président de la République, dans son discours des Bernardins du 9 avril 2018, à l’invitation du Président de la Conférence des évêques de France, alors Mgr Georges Pontier, n’avait-il pas défini le cadre strict dans lequel il entendait circonscrire le dialogue ? Dans un discours plutôt flatteur pour les catholiques, et par sa déférence et par ses références spirituelles et théologiques, il reconnaissait trois « dons » que l’Eglise est invitée à mettre au service du dialogue : « le don de votre sagesse, le don de votre engagement et le don de votre liberté ». A propos de « notre Sagesse », dont il reconnaît même la contribution historique à la construction de la société française, tout en affirmant que la « sève », qu’il ne définit pas, est plus importante que les « racines », il demande à l’Eglise « l’humilité du questionnement ». Et, s’il écoute avec intérêt la voix de l’Eglise, celle-ci ne saurait être « injonctive », autrement dit donneuse de leçons ! Pour ce qui est de « notre engagement », il sait bien que depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusque dans les années 70, une bonne partie du Clergé et des Mouvements ont souvent substitué l’engagement social et politique au témoignage explicite de la foi, ce qui demeure encore aujourd’hui la posture de générations nostalgiques de cette époque, quand bien même, depuis le Concile Vatican II, l’Eglise a promu un grand renouveau de la vie spirituelle et appelé à la Nouvelle Evangélisation. Qu’à cela ne tienne, le Président de la République appelle les catholiques à renforcer cette posture si féconde de la solidarité, au risque de l’entraîner à diluer dans l’action sociale et politique sa véritable mission. Enfin, à propos du « don de notre liberté », s’il se veut le garant de la liberté de conscience et de la liberté spirituelle, que l’Eglise est appelée, avec d’autres, à mettre au service de nos contemporains en quête de spiritualité et de Transcendance, il conclut avec fermeté : « Mon rôle est de m’assurer qu’il (tout citoyen quel qu’il soit) ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire, mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vivre ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer ».
Dialogue et mission prophétique de l’Eglise
La Règle du jeu est ainsi clairement fixée. Mais l’Eglise saurait-elle s’en accommoder ? Comme force de proposition au sein d’un corps social pluriel, où il s’avère qu’elle n’a pas plus de poids que les autres religions ou sociétés de pensée, et selon les exigences du « débat démocratique », sa voix ne saurait être en effet injonctive. Mais sa nature et sa mission, qu’elle reçoit non pas des hommes mais de Dieu, résistent à un tel enfermement. Elle ne saurait être limitée dans sa mission prophétique par les lois de la République. Comme l’a rappelé avec vigueur le Pape saint Jean Paul II, dans son encyclique Evangelium Vitae, à propos de la loi civile et de la loi morale, en citant les paroles de Pierre devant le Sanhédrin : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29).
L’Eglise, en cherchant à être audible, n’a-t-elle pas tendance à sacrifier trop facilement à la sacrosainte loi de la communication, au risque d’affadir son message et de manquer de fermeté sous prétexte qu’elle craindrait de choquer ? Dans ces conditions, comment s’étonner que notre discours trouve si peu d’écho dans les grands médias et l’opinion publique ?
Le moment n’est-il pas précisément venu pour nous de nous ressaisir davantage de notre « mission prophétique » qui ne saurait être limitée, ni par les injonctions du pouvoir politique ni par les lois de la communication imposées par le monde médiatique ? Comme saint Paul l’écrit à Timothée : « Proclame la Parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte avec une patience inlassable et le souci d’instruire. Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine mais au contraire, au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la Vérité pour se tourner vers les fables » (2 Tm 4, 2-4). Qui pourrait nier l’actualité de ces paroles ?
La tradition prophétique d’Israël
Toute l’histoire du prophétisme d’Israël plaide en ce sens. La Parole de Dieu, proclamée dans la liturgie de ces dernières semaines, nous en fournit maints exemples. Jérémie n’hésite pas à prophétiser contre le pouvoir en place et accuse les faux prophètes de « rassurer ce peuple par un mensonge » (Jr 28, 15), sans craindre pour sa vie. Amos, qui prophétise contre le roi d’Israël, est sommé de cesser ses admonestations, mais il répond : « Je ne suis pas prophète, je ne suis pas frère de prophète ; je suis bouvier et pinceur de sycomores. Mais Yahvé m’a pris de derrière le troupeau et m’a dit : ‘Va prophétiser à mon peuple Israël’ » (Am 7, 14-15). Tandis que les prophètes sont généralement envoyés vers le Peuple élu, qui s’est rendu infidèle à l’Alliance avec le vrai Dieu d’Israël, Jonas est le seul prophète envoyé vers les païens ; à la ville corrompue de Ninive, il proclame : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite » (Jo 3, 4). « Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus grand que Jonas » (Mt 12, 41), dira Jésus à l’encontre des scribes et des pharisiens qui lui réclament un signe. Jean-Baptiste, le dernier et le plus grand des prophètes, fut martyre de la Vérité morale pour avoir reproché au roi Hérode d’avoir pris la femme de son frère (cf. Mc 6, 17-29).
La mission prophétique de Jésus
Dans la plus pure tradition prophétique d’Israël, Jésus a appelé inlassablement les hommes à la conversion : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15). Et il n’a pas toujours cherché à être audible, comme il en donne la raison en citant le prophète Isaïe : « Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. C’est que l’esprit de ce peuple s’est épaissi : ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur esprit ne comprenne et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse » (Mt 13, 14). Et de ponctuer souvent son discours de l’expression : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Mt 13, 8), ou bien « Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19, 12).
Quand il annonce le grand Mystère de l’Eucharistie, dans le Discours du Pain de Vie, il se heurte au refus obstiné des juifs de la synagogue de Capharnaüm : « Elle est dure cette parole ! Qui peut l’écouter ? » (Jn 6, 60). Mais Jésus n’atténue pas le réalisme de ses paroles pour autant, il renchérit même : « Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui » (Jn 6, 66). Il ne cherche pas à les rattraper, en adaptant son langage ; au contraire, il se tourne vers les douze, le petit reste pourrait-on dire, et les interroge : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », à quoi Simon-Pierre répond par cette si belle profession de foi : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 67-69).
C’est intentionnellement, contre toute vraisemblance chronologique, que saint Luc fera commencer le ministère public de Jésus à Nazareth, lui le modèle des prédicateurs et des communicants, par une prédication manquée, s’attirant la haine et l’hostilité de ses compatriotes : « Ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin… » (Lc 4, 29-30). Malgré le rejet de ses compatriotes, il garde une liberté souveraine. Cet événement donnera sa tonalité propre à toute la prédication de Jésus, lui qui affirmera devant Ponce Pilate, au moment où il était livré aux mains des hommes pour être crucifié : « Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est de la Vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37).
La mission prophétique de l’Eglise
Comme l’affirmera Jésus à ses disciples, au soir de la dernière Cène : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi, ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi, ils la garderont. Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom… » (Jn 15, 20-21). C’est dans ce contexte que Jésus promet l’Esprit saint à ses disciples : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, car vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15, 26-27).
Y a-t-il en fin de compte une autre manière pour nous de rendre témoignage à la Vérité que celle qui a conduit Jésus à la Passion et à la mort de la Croix ?
Depuis le Concile Vatican II, tout en appelant au dialogue, que saint Paul VI appelait « le dialogue du salut », les Papes ont tous assumé pleinement leur mission prophétique. Saint Paul VI s’est prononcé contre la mentalité du monde, provoquant même une réaction de contestation au sein de l’Eglise, par la publication de l’Encyclique Humanae Vitae (25 juillet 1968) sur la régulation des naissances, dont le caractère prophétique n’échappe plus à personne aujourd’hui. Saint Jean Paul II a publié l’Encyclique Evangelium Vitae (25 mars 1995) sur la dignité et l’inviolabilité de la vie humaine, en se prononçant avec une solennité et une autorité toute prophétique, contre l’avortement, l’expérimentation sur les embryons humains, l’euthanasie. Nous célébrons aujourd’hui le 25ème anniversaire de ce document historique. Le Pape François, avec l’encyclique Laudato si’ (24 mai 2015), n’en fait pas moins œuvre prophétique en faisant la promotion d’une « écologie intégrale », qui ne sépare pas la sauvegarde de l’environnement de la protection de celui qui l’habite, au nom du principe répété à l’envi : « Tout est lié ».
La mission prophétique de l’Eglise est précisément de proclamer, à temps et à contretemps, la Vérité sur l’homme dont elle est la dépositaire par mandat divin.
Témoins de l’éminente dignité de l’homme dans le Christ
Nous savons en effet que la Vérité sur l’homme ne s’accomplit vraiment que dans le Christ, le Verbe incarné « qui manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Gaudium et Spes n. 22). L’humanité du Christ, qui seul « connait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 25), est indépassable, « lui qui est le même hier, aujourd’hui et pour toujours » (He 13, 8). Le Fils de Dieu a consenti à assumer une humanité parfaite en toutes choses, c’est-à-dire dans les limites mêmes de notre nature créée, à l’exception du péché (cf. He 4, 15) ; son humanité est tellement limitée, qu’elle est dépourvue de personnalité humaine, ayant été assumée dans l’unique personne divine du Verbe : c’est pourquoi elle est divinisée, transfigurée par son union hypostatique avec la nature divine ! C’est là la sublime vocation de l’homme et son éminente dignité que d’être appelé à être transformé, transfiguré par son union au Christ, à faire pâlir tous les rêves du Transhumanisme ! A condition toutefois de consentir aux limites de sa nature créée et de renoncer à les transgresser. En effet, ou bien l’homme accepte les limites de sa nature créée, en s’abandonnant au projet du Créateur, et alors il peut acquérir sa véritable grandeur ; ou bien il s’affranchit de ses limites et, tenté par le Père du mensonge et Séducteur du monde entier, il transgresse les lois de sa nature et court vers sa perte et sa destruction, comme on le voit clairement du point de vue de l’écologie.
C’est la mission prophétique de l’Eglise que d’alerter l’humanité d’aujourd’hui et de la prévenir contre la tentation de l’autodestruction. On ne peut pas d’un côté reconnaître qu’en prétendant se rendre maître de l’univers par les prouesses de la technoscience, on conduit la planète sur la voie d’une « catastrophe écologique », et décider, au nom de la même technoscience, de se rendre maître de la vie de l’homme, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, sans mener l’humanité vers une catastrophe plus dommageable encore ! On ne peut pas, sans préjudice grave pour l’avenir de l’humanité, s’opposer aussi impunément au Dessein du Créateur.
C’est la raison fondamentale de notre défense de la dignité de la personne humaine, à commencer par la plus petite et la plus vulnérable.
Parler avec autorité à la conscience des gens
La mission prophétique de l’Eglise consiste donc, non pas d’abord à chercher à être audible selon les critères du monde, mais à parler à la conscience des gens, ce sanctuaire intime où résonne la voix de Dieu qui commande à tout homme de faire le bien et d’éviter le mal (cf. Gaudium et Spes n. 16), cette « étincelle de l’âme » – scintilla animae – qui, au dire de saint Jérôme, n’est pas éteinte, même chez Caïn, le meurtrier d’Abel. On ne doit pas se scandaliser que ce message puisse être rejeté par les hommes, mais être convaincu, comme l’affirme Jésus, que « quiconque est de la Vérité », écoute sa voix !
« Proclame la Parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte… » (2 Tm 4, 2)
Face à la « PMA pour toutes », quand on sait que le taux de réussite d’une PMA est très faible et comporte presque toujours tri et destruction d’embryons, face aux manipulations des embryons humains, comme à l’allongement du délai de l’avortement pour cause de « détresse psycho-sociale », il nous faut répéter avec force et autorité le commandement du Seigneur : « Tu ne tueras pas » (Ex 20, 13 ; Dt 5, 17). Il nous faut reprendre avec courage les condamnations exprimées, avec toute son autorité de Successeur de Pierre, par le Pape saint Jean-Paul II : « C’est pourquoi avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses successeurs, en communion avec les Evêques […], je déclare que l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel » (Evangelium Vitae n. 62). Et de préciser que « L’évaluation morale de l’avortement est aussi à appliquer aux formes récentes d’intervention sur les embryons humains qui, bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le meurtre » (Ibid. n. 63).
La mission prophétique de l’Eglise consiste encore à rappeler la gravité morale de ce projet de loi bioéthique quand il décide de priver des enfants du droit d’avoir un père et une mère, en redisant les avertissements du Seigneur dans l’Evangile du jugement dernier, que le Pape François appelle le « grand critère » de la sainteté (Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate n. 95) : « ‘En vérité je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait […] Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait’. Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle » (Mt 25, 40. 45-46).
Il ne s’agit pas pour autant de juger ni de condamner les personnes qui, souvent malgré elles et sous la pression du milieu ambiant ou abusées par une propagande flatteuse et mensongère, en viennent à user de ces moyens pour satisfaire un désir légitime d’enfant ou pour éviter d’autres maux. Le Seigneur connaît leur cœur et est toujours prompt à faire Miséricorde. Raison de plus pour les avertir et les accompagner avec charité, mais dans la Vérité.
Sont plus coupables et répréhensibles ceux qui, connaissant la gravité morale de ces pratiques, par démagogie électorale ou idéologie, édictent des lois injustes qui s’imposent à tous. Saint Thomas d’Aquin affirmait qu’une loi civile non conforme à la loi naturelle et à la loi divine « est plus une violence qu’une loi » (Ia-IIae q. 96, a. 4).
Mission prophétique et combat spirituel
Sans doute, l’iter législatif de ce Projet de Loi bioéthique n’est-il pas achevé : il doit encore repasser devant le Sénat et il appartiendra probablement au Conseil Constitutionnel de le valider ou non. Aussi est-il nécessaire de continuer à alerter les consciences, en particulier des sénateurs qui auront à l’examiner.
Cependant la mission prophétique de l’Eglise est de l’ordre du Combat spirituel. Ce qui est en jeu, c’est le Dessein créateur et rédempteur de Dieu, auquel il est manifeste que « celui que l’on appelle Diable ou Satan » s’oppose depuis le commencement et jusqu’à la fin des temps. Parce qu’il touche jusqu’aux origines de la vie humaine en sa conception, c’est le combat eschatologique par excellence, tel qu’il est décrit par saint Jean, le visionnaire de l’Apocalypse : « Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. Puis un second signe apparut dans le ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème […] En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ; et son enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône, tandis que la Femme s’enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge… » (Ap 12, 1-6).
Toutefois, « Ce combat n’est pas le nôtre, mais celui de Dieu » (2 Ch 20, 15). Et c’est lui qui donnera la victoire. Comme disait Jeanne d’Arc, dont nous commémorons cette année le 100ème anniversaire de la Canonisation : « En nom Dieu, les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire » !
Il s’agit sans doute de batailler avec tous les moyens humains qui sont à notre disposition de citoyens responsables. Il s’agira aussi, pour nous fidèles de l’Eglise catholique, de combattre avec les armes spirituelles traditionnelles : la Parole prophétique – qui comme celle de Jésus peut faire reculer les ténèbres et chasser les démons –, la prière, en particulier le chapelet, et le jeûne… Le Seigneur se cherche des âmes de prière et de sacrifice pour s’engager courageusement dans ce combat.
Sans doute, la victoire est-elle définitivement acquise par le Christ et, à la fin, « le Cœur immaculé de Marie triomphera », comme elle l’a annoncé à Fatima, où elle apparaît précisément comme la Femme de l’Apocalypse, revêtue du soleil. Mais, comme on le lit encore dans l’Apocalypse, « furieux contre la Femme, le Dragon s’en alla guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17). D’où l’appel à la vigilance.
Nous pourrons prendre aussi le moyen de la consécration de nos personnes et de notre Nation, la France, aux deux Cœurs unis de Jésus et de Marie, pour renouveler notre Alliance, celle de notre baptême, et l’Alliance de notre pays, avec la Sagesse éternelle. C’est la réponse que nous pourrons donner, avec notre conversion, à l’interpellation historique de saint Jean Paul II à la France, il y a 40 ans, le 1er juin 1980, lors de son premier voyage apostolique dans notre pays : « France, Fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? France, Fille de l’Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle » ? Quel écho donnerons-nous à cette demande, alors que la France manifeste une nouvelle fois, en particulier à travers des lois injustes, son infidélité à l’Alliance avec la Sagesse éternelle ?
En la solennité de l’Assomption de Notre-Dame, patronne principale de la France, nous confierons ce combat à la Vierge Marie, en renouvelant le vœu de Louis XIII.
+ Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron
Samedi 15 août 2020, en la Solennité de l’Assomption de Notre-Dame