Mgr de Moulins-Beaufort: «Les lois de bioéthique organisent un drame à venir»

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Mgr de Moulins-Beaufort: «Les lois de
bioéthique organisent un drame à venir»

ENTRETIEN – Pour le président de la Conférence des évêques de France il est nécessaire de susciter l’intérêt de l’opinion publique sur les enjeux bioéthiques.
Par Jean-Marie Guénois du Figaro
Publié le 9 octobre 2020 à 17:08, mis à jour hier à 12:17

Archevêque de Reims, Mgr Éric de Moulins-Beaufort est le président de la Conférence des évêques de France.
LE FIGARO. – Jamais, avant vous, l’épiscopat n’avait voulu rencontrer les
organisateurs de la Manif pour tous. Vous avez rencontré officiellement les organisateurs de la manifestation de ce samedi, est-ce le signe de votre soutien?

Mgr Éric MOULINS-BEAUFORT. – La situation s’est aggravée avec la révision des lois de bioéthique ; nous avons aussi changé de génération. Entendre et connaître les associations qui sont engagées dans ce combat pour voir comment agir utilement et, surtout, comment intéresser l’opinion publique aux enjeux bioéthiques, est une nécessité.
L’épiscopat soutient donc officiellement les manifestations du 10 octobre?
Ces manifestations sont une expression légitime de l’inquiétude des chrétiens devant les lois de bioéthique. Quant au choix des moyens d’action, il appartient à chacun.
Cette manifestation nationale décentralisée du 10 octobre est la manifestation de la dernière chance: les évêques descendront-ils, cette fois, dans la rue?
Je ne donne pas de consigne aux évêques. Ils décideront, chacun dans son diocèse. Je me réjouis que des Français prennent ces sujets au sérieux et cherchent des moyens politiques d’agir. Il y a un débat politique. Il est aussi légitime d’agir sur ce plan. Mais la mission des évêques, leur mode d’action «politique», est d’un autre ordre qu’une manifestation.
Même dans une situation d’urgence comme aujourd’hui?
Les graves questions posées par les lois de bioéthique ne sont pas «religieuses». Elles touchent le sens même de la vie humaine, donc toutes les religions et les familles d’esprit.
Une question capitale se pose: qu’est-ce qu’engendrer un enfant? Le seul désir d’enfant justifie-t-il tous les processus possibles dans un rêve de toute-puissance? Cette loi organise un drame à venir: des enfants n’auront pas de père, mais un géniteur. Combien d’enfants nés d’une PMA cherchent aujourd’hui qui ils sont vraiment? L’humanité ne se réduit pas à la biochimie… Quant au mode d’action, il doit être efficace. Nous ne voulons pas condamner ceux qui demandent ces lois. Mais nous devons dire clairement les choses. Ce que nous avons fait sans discontinuer depuis cinq ans. Nous n’avons pas cessé d’avertir de la gravité de ce qui se prépare. Je suis reconnaissant aux parlementaires qui ont pris ces sujets au sérieux et s’y sont opposés. Je suis reconnaissant aux citoyens qui manifesteront car ils expriment quelque chose qu’il est nécessaire d’entendre. Mais il faut reconnaître que nous ne sommes pas très
puissants face à ceux qui modèlent l’opinion.
Seriez-vous résigné?
Je ne suis pas résigné! Ce qui compte depuis toujours dans le christianisme n’est pas le changement des lois mais la conversion des coeurs et des esprits.
Mais pourquoi ne criez-vous pas un «non » devant toutes les manipulations bioéthiques annoncées?
Nous l’avons fait bien des fois… J’aimerais crier un oui à la vie! Notre «non» est un oui à la vie humaine! Notre «non» est un oui à la dignité infinie de la vie que nous devons respecter, car un enfant ne peut se réduire à être l’objet d’un projet parental. Notre «non» est un oui à la relation entre un homme et une femme dont nous croyons qu’elle peut être une alliance
durable des libertés qui transforme chacun de manière féconde, qu’elle n’est pas un patriarcat qui abuserait des femmes ou un matriarcat qui étoufferait les hommes! Notre «non» est un oui à l’arrivée des enfants, pas pour se survivre ou pour combler sa solitude mais pour beaucoup
plus grand que soi et pour les laisser être ce qu’ils ont à être! Notre «non» est fondamentalement un oui! Tout notre défi est de le faire entendre. Beaucoup plus de gens que nous ne le pensons le vivent au quotidien.

Qu’est-ce qui ne passe pas pour vous dans la longue liste des évolutions bioéthiques à venir?
Que l’on veuille faire de l’avortement un acte banal… C’est extrêmement douloureux, car je ne vois pas comment nous pouvons nous entendre ni faire de compromis avec ceux qui travaillent à cette banalisation. L’avortement, c’est mettre fin à la vie de quelqu’un et l’on ne peut pas dire que c’est autre chose que cela. La pression qui s’accentue depuis quelques mois pour allonger les délais de l’avortement et faire passer l’avortement pour un acte banal en supprimant la clause de conscience spécifique des médecins est terriblement inquiétante: on enlève tout ce qui avait été prévu en 1975 pour bien marquer que l’avortement était un acte non souhaitable, toléré mais pas encouragé. L’allongement du délai va même jusqu’à prévoir
une intervention jusqu’avant la naissance… C’est terrible: dans une chambre, une équipe se battra et se réjouira de sauver un enfant prématuré ; dans la chambre d’à côté on dira: «Ce n’est pas grave, on va vous débarrasser de cet enfant.» Et l’on veut nous dire que c’est la même chose! Eh bien, non: nous disons, nous, que ce n’est pas la même chose. Cela installe une fracture très profonde.
Ceux qui s’opposent à ces lois, les catholiques en particulier, ont-ils été bernés par le gouvernement qui a promis un débat… dont la conclusion était courue d’avance?
La substance de la vie sociale, ce sont des gens qui fondent des familles, accueillent des enfants, essayent de les faire grandir dans le monde tel qu’il est. Ces familles peuvent avoir l’impression d’avoir été bernées mais il n’y a pas eu de tromperie: le Parlement est tel qu’il est élu par les Français. Un petit groupe de parlementaires, très motivé, est convaincu de faire
avancer l’humanité, suivi par d’autres qui ne s’intéressent pas de près à ces sujets.

Tout ce combat pour… rien: êtes-vous amer?
Je suis triste plutôt qu’amer. Je vois venir beaucoup de souffrances pour un problème mal posé: nos démocraties font croire que l’on va donner une réponse à toutes les souffrances, présentées comme des frustrations qui doivent automatiquement ouvrir un droit. On nous fait croire qu’un sparadrap de techniques médicales et de techniques juridiques va dissoudre des problèmes qui se reposeront inévitablement. On ira à la GPA, car le politique est incapable de résister à sa prétention de vouloir apporter une solution technique et juridique à toutes les situations de souffrance. C’est une spirale sans fin.
L’Église catholique perd encore du terrain, est-elle désormais hors-jeu de la société française?
C’est une banalité de dire que l’Église a perdu de l’influence et une évidence de constater que beaucoup de Français n’ont plus de vrais liens avec le catholicisme et parmi eux beaucoup de parlementaires. La morale chrétienne n’a toutefois jamais été portée par les sociétés.
Notamment sur les questions du mariage et de la sexualité, où le Christ apporte une parole tellement neuve, dont aucune société n’a jamais été le reflet exact. Le décalage est à certains moments plus flagrant qu’à d’autres, mais l’Église a toujours un champ pour annoncer la
parole qui donne vie.